Wednesday, November 13, 2013

Soirée Jeu de Rôle à Normale.

Parfois, il est difficile de réprimer la très sale, philosophiquement très impure, mais très pressante envie de tirer un portrait pseudo-psychologique à certains spécimens loufoques. Maintenant, par exemple. 

On m'a remis un flyer, il est très joli, je ne résiste pas à l'envie de vous le faire partager, il vaut son pesant de ce-qui-vous-fait-plaisir (générosité pure). On y apprend qu'une journée anti-fasciste se prépare à l'Ecole Normale Supérieure, l'école de l'ELITE. Comme je sais que cet établissement, qui détient le record absolu du nombre de déclarations de « grands parents résistants » par heure, ne produit que le nectar de la pensée mondiale, j'y vais les yeux fermés, et comme vous le savez, ma méthode est celle du commentaire linéaire.

« Depuis quelques années nous assistons en Europe et en France à la montée d'une extrême droite de plus en plus décomplexée et à la banalisation des idées homophobes, racistes, sexistes voire fascistes. Nous avons pu le constater en France à l'occasion des « manifs pour tous », avec les résultats électoraux du FN, la création du collectif d'enseignant-e-s « Racine » proche du rassemblement Bleu Marine, »

Un bonne fois : le FN a beau être le réceptacle de formes de bêtise variées rivalisant avec la votre, il n'est tout simplement pas un parti fasciste. D'ailleurs je me demande pourquoi des étudiants issus d'un concours comportant une épreuve d'Histoire (je soupçonne moins les scientifiques, j'avoue) se complaisent aussi facilement dans la reductio ad hitlerum. Le fascisme c'est :
  • la militarisation du parti, puis des force sociales,
  • la réquisition coercitive de toutes les richesses pour l'effort national,
  • l'impérialisme mondial
  • le racisme institutionnel (qui n'a rien à voir avec la xénophobie, qui n'a rien à voir avec le nationalisme). 

A bien y regarder, le Front n'a jamais été fasciste, il est nationaliste, si l'on veut xénophobe, et il se dirige aujourd'hui tranquillement vers un socialisme bien jacobin bien mou, dans une version légèrement plus protectionniste que la montebourgeoise, bien repliée sur le territoire national, moins immigrationiste que la hollandienne mais bon... à peine. Ce socialisme bien bas du front (lol) est après tout le seul cohérent, notre gouvernement le découvre peu à peu. TREVE DE DIGRESSION.
Les normaliens devront donc se contenter d'appliquer tant bien que mal l'analyse fournie dans deux conférences aux objets bien éloignés de la situation française dans le temps et dans l'espace. Et ils vont y arriver, il suffit de persuader tout le monde que LE FASCISME EST QUAND MÊME A NOS PORTE, même s'il n'y est pas.

«  En Grèce le groupe néonazi Aube dorée prospère sur la crise économique et les politiques d'austérité de l'Union Européenne et du FMI. Le meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fryssas et les nombreuses agressions d’immigré-e-s nous montrent le vrai visage du fascisme. »
Je ne dis pas que l'aube dorée n'est pas un parti fasciste. Il l'est, il a sévi en tant que tel. En Grèce. Hélas ! Pauvres normaliens, privés de leur lutte antifasciste pour être nés français. Ne leur proposez pas le voyage, ça serait hyper impoli, il paraît qu'on rationne la nourriture la bas, ça s'appelle la sale rigueur.


« Les agressions physiques de personnes LGBT, de femmes voilées, par l'agression d'une militante de l'UNEF à l'arme blanche ou encore avec le meurtre de Clément Méric . »

Tout cela est-il le fait du sale FN, du sale collectif "Racines" et des sales manifs pour tous ? Parle-t-on vraiment de la même chose ou... s'agit-il d'une forme de simplification facile donc tentante (pour une fois les as de la pinaillerie conceptuelle ne font pas les fines bouches) ? Pourquoi ne pas faire le plus difficile et le plus pressant : s'attaquer vrais groupes violents qui tuent. Pas assez glorieux, en plus des fois on meurt. Les normaliens sont pas fous, pas plus maintenant que pendant la guerre. Ils roulent pour la gloire, exclusivement.

La situation est la suivante : les groupes de skin heads fascistes sont trop petits, trop rares, pas assez visibles, pas assez prestigieux, trop violents. Le FN, les manifs pour tous, ouais, si c'était vraiment nazi, ça en jetterait, des partis montants, pas trop de risque de prendre un coup de cierge, les loups à nos portes, filage de métaphore sur france inter, COUVERTURE MEDIATIQUE, la classe.

Vous inquiétez pas, y'a moyen de s'arranger.
Observez :

« Il est donc urgent de riposter en s'organisant pour lutter contre l’extrême-droite. »

Et voilà le bonneteau : du facho à l'entrée, de l'extrême drooââââte à la sortie, un truc bien englobant, l'on y peu mettre qui l'on veut : manif pour tous, FN, bonnets rouges, "libertariens-facho-cromagnons". On pourrait devrait l'enseigner à Sciences Po tellement c'est simple et pratique.

Comment ça marche ? Il suffit de changer le sens du mot fasciste pour qu'il s'applique à tout ce qu'on veut, mais sans prévenir. Voilà, vous pensiez fasciste au sens italien ou nazi, mais non ! Non bien sûr le fascisme, c'est plus large, ce n'est pas lié à un contexte historique. Quelle que soit la justification philosophique plus ou moins fumeuse, il s'agit d'identifier le fascisme à un principe maléfique en germe dans tous les maux (que ce soit l'essentialisme, l'aliénation, you name it). Ou comment les apôtres de la singularité et de la différence se retrouvent à exercer la police de pensée la plus manichéenne disponible sur marché des idées.
L'extrême drooââte... vous fatiguez pas, disons, la drooââte, est TOUJOURS DEJA (parlez vous le normalien ?) un peu fasciste, elle couve toujours ces germes nauséabonds qui permettent de godwinner facile. Donc nécessairement ça tend, ça glisse, ça rampe irrrrrrrémédiablement vers les heures les plus sombres de notre histoire en laissant derrière soi sa sale trace brune, évidemment les kids.

Voilà pour la première arnaque intellectuelle, il ne me reste plus qu'à DECRETER SOLENNELLEMENT LE DROIT A LA LUTTE ANTIFASCISTE, car tout, le monde, oui tout le monde devrait être en mesure de se faire valoir à peu de frais, pour à peine deux ou trois raccourcis intellectuels sans importance. Ne refusons à aucun jeune esprit oisif en mal de lutte épique de chercher la reconnaissance facile de ses pairs en choisissant avec courage le camp du bien. (D'ailleurs j'imagine la situation du responsable qui leur a attribué une salle de conférence pour une journée entière... Imaginez vous, refuser, ne serait-ce qu'ajourner l'antifascisme ?)

Ce n'est pas fini les amis, dans ce flyer, il y a deux arnaques intellectuelles pour le prix d'une, car après les cours magistraux viennent les travaux surveillés.


« 9h-10h :Réunion non-mixte. Échange d’expériences et propositions entre personnes assignées femmes et personnes trans* sur leur place dans les mouvements antifa/anti-FN. »

Mais non, sans blague, « assignées femmes ». Je suppose donc que je peux utiliser mon indétermination singulière et ma liberté radicale sur mon corps et mon identité floue et construite pour me ré-assigner femme quelques heures, participer aux échanges en tout bien tout honneur, puis me re-ré-assigner homme et poursuivre ma domination patriarcale du monde ? Après tout, les identités ne sont-elles pas fluuuuuctuaaantes et malléable ?

Ou est-ce trop d'indéterminisme et de détournement de la norme pour nos gentils normaliens soucieux de conserver une « non-mixité ». D'ailleurs les identités sont tellement fluuuuctuaaaantes que je trouve cette barrière de non-mixité absolument immonde et carrément brune. Elle ne prend pas en compte le continuum irréductible de nuances de genres singulières, ni leurs variations intertemporelles imprévisibles. Imaginez donc, un instant je suis assignée femme, l'autre je suis assignée 2/3 hommes : comment fait-on ? N'est-ce pas pourtant là toute la beauté insaisissable du sujet se tenant toujours dans le possible ?

En somme voilà, tout est pluriel, quand ils en auront fini avec la déconstruction des concepts psycho-socio-biologiques vous verrez qu'ils s'attaqueront aux meubles. Alors la chaise ne sera plus aliénée par son identité réductrice, la table s'émancipera de sa tétrapedie assignée.
Mais ne venez pas leur demander de faire des ateliers mixtes.

La question du déconstructionisme, contrairement à ces guignols, mérite un article sérieux que je lui consacrerai prochainement.

Le pire dans cette histoire c'est qu'on commence à voir comment l'antifascisme de ces rigolos s'applique à tout ce qui leur apparaît moralement condamnable, qu'il s'agisse de racisme ou d'assignation de genre ou du conservatisme en matière scolaire. D'ailleurs mes amis libéraux, je vous signale que sur l'autre page du flyer, on lit anti-capitalisme. La prochaine fois ils viennent pour vous.

On va bien lolzer. 

En attendant, les naufragés de l'école normale supérieure dérivent encore un peu plus loin du monde (bien réel) de la pertinence intellectuelle, s'érigent un univers de fictions et de moulins à vent pour se consoler d'être privés d'une grande cause historique. Le problème c'est que face à l'Histoire, leurs prédécesseurs intellectuels ne firent pas mieux, et que d'une certaine façon ils portent toujours cet échec dans le sang.

Tous furent des roublards intellectuels.


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Pour plus de lol, voir les commentaires de l'annonce de cette journée sur ce site.
 

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